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Un manifeste pour la santé en danse

Résister à

Pour une autre virtuosité sur le marché du travail en danse

Le marché du travail en danse est encore largement dominé par des normes corporelles parmi lesquelles ont peut identifier un corps athlétique et discipliné. Ce corps, technicien, polyvalent est celui que la chercheuse américaine Susan Foster décrivait comme le “ hired body” à la fin des années 1997.

Un corps dansant soumis aux diktats des salles de sport, un corps qui sait tout faire, sans limites, un

portrait du danseur en super-héros. Ainsi, les danseur.euse.s virtuoses risqueraient-ils une forme de

surentraînement par épuisement ? Nous ne sommes pas ici dans le cadre d’un entraînement disciplinaire qui induirait un épuisement par la répétition mais plutôt dans une virtuosité du dépassement (de la norme) qui induit un épuisement par digressions. Lorsque la virtuosité est critiquée par rapport au modèle de discipline qu’elle paraît imposer, la critique se focalise souvent sur la sur-représentation d’un corps idéal, bien formé et bien entraîné. C’est ce que dénonce Andrée Martin dans un article intitulé « Un urgent besoin d’être » :

“Les corps glorieux et sans faille, minces et musclés, entraînés et tout empreints de verticalité de la danse d’hier perdurent. Les corps des danseurs sont, aujourd’hui comme hier, des corps déployés qui se tiennent droits, bien droits.” (1)

Or, cette image du corps sous-tend un rapport spécifique au quotidien et à la santé dans le travail en danse. L’entraînement des danseur.euse.s devient alors une réponse à l’injonction d’un corps athlétique et virtuose. Pourtant, la question de la santé en danse ne peut s’envisager que dans sa double dimension du “faire” et du “sentir”, allier une condition physique adaptée et une capacité à percevoir, ressentir, déplacer ses habitudes corporelles. Il s’agit donc de défendre l’idée d’un corps plastique au-delà d’un corps discipliné. Non plus l’excellence au sein d’un cadre normatif mais bien la capacité à déplacer ce cadre. Cette “virtuosité du sentir” ne se développe pas en accumulant contraintes physiques, techniques mais elle s’incorpore en gagnant de nouveaux territoires. La virtuosité se situe moins ici dans la visibilité de la difficulté technique que dans la sensation de cet état qui conditionne le geste. Il y aurait donc une virtuosité du sentir autant que de l’agir, une virtuosité qui ne nous est montrée que si l’on s’attache à regarder ce qui précède le geste.

En cela, bien qu’invisible et complexe, la virtuosité du sentir n’en n’est pas moins transgressive. Se jeter sans concession sur scène à travers un geste virtuose libéré et jouissif, n’implique pas moins que les règles que nous avons incorporées soient difficiles à transgresser.

(1) Andrée Martin. , « Un urgent besoin d’être », Jeu n° 119 « Danser aujourd’hui », Montréal, juin 2006, p. 73.

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