C’est après son bac et un peu de sport en club qu’il est entré en école préparatoire. Il se forme pendant trois ans, passe les concours des écoles supérieures, rate, recommence et finit par en intégrer une. Tout va assez vite à sa sortie d’école, il fonde un collectif puis intègre très vite une importante compagnie de cirque contemporain. Physiquement le passage de l’école à la vie professionnelle est dur. Moralement, travailler dans une grosse compagnie lui donne confiance, lui aussi peut le faire, lui aussi peut porter son projet.
C’est avec une autre compagnie que cela se passe mal, très mal. Un remplacement, un manque de préparation sur des techniques qui ne lui sont pas familières, du harcèlement, de la fatigue et un grave accident. Très grave, aux multiples conséquences. Une violence physique, psychologique, sociale. "J'ai été maltraité, un manque total de bienveillance, de compréhension, de compassion, une ambiance de travail horrible”, énumère-t-il. L’accident, c’est une chute et plusieurs fractures. Il ne remontera plus jamais sur scène, il ne pourra plus.
La rééducation est très longue, laborieuse, solitaire, “on a zéro accompagnement en tant qu'artiste de cirque”, déplore-t-il. La difficulté à rencontrer les bons praticiens et praticiennes de santé et des épisodes dépressifs graves. Les complexités administratives suite à la déclaration d’accident du travail, les frais médicaux, l’incompréhension de la sécurité sociale. Il aurait aimé accéder à des centres de rééducation pour les sportifs de haut niveau, cela ne sera pas le cas. Les portes restent fermées malgré un réseau qui s’active.
Si l’expérience de la blessure est violente elle côtoie une absence de légitimité de la parole à ce sujet, “moi je peux en parler maintenant”. Il interroge les responsabilités en soi, les autres, les lieux qui accueillent les compagnies, les médecins. Qui prend la responsabilité? Qui arrête? Qui en subit les conséquences?
Il reste optimiste, calme, “je me suis posé”, dit-il. Il regarde le travail un peu différemment aujourd’hui, refuse tout discours sur le corps souffrant. Car il y a eu beaucoup de souffrances, en fait, beaucoup de blocages, de déchirures, de trucs pas drôles. Et puis maintenant, c’est moins intense. Peut-être est-ce mieux.